











Communiqué
Pour la première édition d’Africa Basel, consacrée exclusivement à l’art contemporain africain et à sa diaspora, la Galerie Dix9 est heureuse de présenter Kwama Frigaux, une artiste française d’ascendance ghanéenne. Née en 1993, Kwama collecte les déchets omniprésents dans nos vies intimes et collectives — verre sécurit, emballages plastiques, aluminium alimentaire, plaquettes de médicaments vides — pour les transformer en objets sensibles propres à nous interroger. Lavés, peints et assemblés, ces rebuts, parfois porteurs d’histoires traumatiques, deviennent sculptures, tapis luminescents, vitraux malléables ou installations. L’agencement des couleurs, jouant sur les parties translucides ou opaques des matériaux, le travail de découpe et d’assemblage déplacent notre regard sur ces déchets et leur reconfigurent un devenir, un potentiel évocateur d’autres objets, d’autres usages et fonctions possibles, plus réparateurs du monde qui nous entoure.
De métal et de soie
texte de Aby Gaye-Duparc
Curatrice, Fondation Cartier pour l’art contemporain
"Les femmes ont toujours collecté, conservé et recyclé des choses, car les restes offraient une nouvelle forme de nourriture". Miriam Schapiro
Les oeuvres de Kwama Frigaux forment des constellations complexes, aux couleurs riches et évocatrices, réalisées à partir de petits fragments de la vie quotidienne. A la manière des quilts ou des assemblages de Betye Saar et Annette Messager, ses compositions reconstituent à la fois des portraits intimes et sociétaux, qui engagent une réflexion sur la mémoire, le soin et la vulnérabilité. On devine derrière ces oeuvres le long et minutieux travail de collecte, de tri et de nettoyage des matériaux (boites de médicaments, bouteilles en plastique ou bris de verres).
Son travail pose – entre autres – la question des frontières entre beaux-arts et arts décoratifs, évoquant aussi bien des textiles tissés ou brodés, de la joaillerie ou des vitraux. A priori sans usage fonctionnel, les grands drapés métalliques constitués de blisters de médicaments peuvent s’adapter à leur environnement, modelant ainsi l’espace. Un parallèle évident se dessine avec les textiles, qui ne tient d’ailleurs pas seulement à un rapprochement formel mais aussi au geste de collecte qui nécessite lenteur, rigueur, répétition et engagement du corps – de la même manière qu’un artiste utilise un métier à tisser. Admiratrice des mosaïques byzantines et des vitraux médiévaux, l’artiste instaure également dans ses oeuvres un jeu avec la lumière, la couleur et la transparence qui
donnent une unité à chacune des pièces. Lorsque notre regard s’y attarde, ces fragments lumineux forment alors des grilles ressemblant à des textes et créant ainsi une forme de langage. Ce qui n’est pas étonnant puisque la recomposition de fragments est semblable à l’exercice d’écriture.
Attentive aux résidus ignorés, l’artiste prend soin de ses matériaux qui sont ensuite découpés, cousus, tissés, brodés, peints et assemblés à leurs constellations. Collecter devient ainsi un acte politique qui permet de conserver mais aussi de soigner la mémoire. Ceci est d’autant plus visible dans les dernières oeuvres de l’artiste qui prennent la forme d’objets protecteurs : un édredon et des coussins faits de soie et renfermant des résidus de blisters de médicaments. Mais l’apparente douceur du textile cache un équilibre précaire, tandis que la soie semble sur le point d’être transpercée par les petits morceaux métalliques.
Lors d’un récent séjour de recherche à la Kwame Nkrumah University of Science and Technology (KNUST) à Kumasi, au Ghana, Kwama Frigaux explore les potentiels de matériaux plus anciens, en particulier les perles qu’elle réalise à partir de fragments de bouteilles de verre. Héritières des échanges commerciaux entre l’Afrique de l’Ouest et le nord du continent, les perles de verre fabriquées au Ghana permettent d’engager une réflexion nouvelle quant à la dimension historique et économique des matériaux, inaugurant un nouveau chapitre de son travail. La KNUST, qui abrite un département des arts dispensant un enseignement expérimental, prône l’art comme don et se joue de la notion de valeur marchande des matériaux employés pour faire oeuvre.