Paper Talk

  • River Lin,

09.05.2016

Performance de River Lin et Tsao Tsu Tien

Sobre et noble performance de River Lin et de Hsiao-Tsu Tien à la Galerie Dix9 : cérémoniel rendant hommage à l’accrochage d’Hélène Lacharmoise dédié à la Mémoire de Livre, rituel mimétique mettant en action et en résonance lespièces exposées !
La performance commence. Chaque performeur doit choisir l’une des deux grandes feuilles rectangulaires de papier vivement colorées, accrochées derrière lui, en hauteur, à des fils courant parallèlement aux murs de la galerie. Rouge ou orange pour Hsiao-Tsu, verte ou bleue pour River. Elle choisit la rouge et lui la bleue. Face à face maintenant, chacun place devant soi son rectangle de papier en fixant de ses yeux sa surface, comme s’il y lisait quelque chose. Regardés de face, nos deux performeurs ne laissent apercevoir que leurs jambes. Ainsi métamorphosés en livres ambulants ils réalisent simultanément la transfiguration de leur papier vierge en document écrit. Un mouvement de fusion s'amorce.
Le livre de Hsiao-Tsu est captivant, comme pourrait l’être une épopée, racontant la geste de quelque grand héros du lointain passé. Sans doute un roman narrant une grande passion, rouge de sang comme sa « couverture ». Hsiao-Tsu entre en transe, ses mains retenues par un spasme à sa page. Une force invisible s’empare d’elle. Elle tremble en faisant trépider le papier si fortement que ce dernier bruit d’une vibration assourdissante : bruissement des pages que l’on retourne fébrilement l’une après l’autre, pour aller au plus vite au bout du récit et du vacarme de l’action contée ; mais aussi éprouvant transfert d’une énergie tumultueuse allant du livre au lecteur. Épuisée, Hsiao-Tsu s’écroule, inanimée, recouverte de rouge par son livre comme par le linceul ensanglanté d’un héros mort pour donner l’exemple. C’est comme si les morts et leur passé enterraient les vivants sous le poids de leur modèle. Après cette mort symbolique vient la résurrection : Hsiao-Tsu sort de son état cataleptique, plie fortement, comprime son livre et s’en couvre le visage. Car c’est là, sur ses pensées, que le livre a fait son effet édifiant.
Tournons-nous maintenant vers River. Son entrée en action est plus lente. Visiblement les récits du livre bleu qu’il feuillette ne le tournent pas vers le passé mais lui dessinent un avenir : ils le font rêver d’horizons lointains, de cieux nouveaux, de lieux utopiques. Graduellement River finit par entrer lui aussi en résonance avec son traité visionnaire. Son lien avec lui est conflictuel, tout fait d’adhésions enflammées puis de rejets furieux: dans un mouvement pendulaire il presse contre lui le livre bleu puis tente vainement de s’en séparer. Fourbu, il tombe lui aussi à terre, irradié par l’énergie qu’il tient entre ses mains, et son livre chute à ses côtés. Revenu à lui-même, River le ramasse, le met en boule et le plaque contre sa poitrine puis contre son ventre, aux endroits où l’humain puise toutes ses forces d’action, ses élans créateurs que rien ne peut arrêter.
Dernier acte. La performance s’achève par une un cérémoniel oblatif : les feuilles-livres sont dépliées et restituées avec dévotion à leur « bibliothèque »(raccrochées au fils qui les portaient naguère). Pour Hsiao-Tsu la tâche est facile : vite feuilleté, son roman est moins « corné ». Pour River l’exercice est laborieux : transformé en une « feuille de choux » par ses mouvements créateurs et destructeurs, son traité demande plus de temps à être aplani et suspendu au fil.
Mais la vraie fin de la performance se situe dans nos fors intérieurs. C’est en nous que s’éveille peu à peu l’idée que les deux bibliothèques dans lesquelles les performeurs avaient choisi leurs lectures ne sont que les rayons d’une seule et même collection. Rétrospectivement nous comprenons que la feuille orange, voisine de la rouge que Hsiao-Tsu avait parcourue de ses frissons, contient du jaune ;la même couleur qui entre aussi dans la composition de la feuille verte jouxtant le livre bleu de River. En vérité, nous avons devant nous une bibliothèque virtuellement encyclopédique, contenant des tomes de toute les couleurs (faisant le tour du cercle chromatique tout entier – depuis le rouge, en passant par le jaune, seulement suggéré, jusqu’au bleu) : la somme complète de tous les arts et savoirs livresques. Une bibliothèque qui entraîne dans sa ronde, anime, en les aspirant dans ses étagères, toutes les pièces des artistes accrochées sur les murs de la galerie : chacune dédiée d’une façon ou d’une autre à l’écriture d’un livre. Quelle belle révérence des performeurs aux artistes exposés : Marie Aerts, Sheila Concari, Leila Danziger, Anne Deguelle, Mehdi-Georges Lahlou, Sophia Pompéry, Nemanja Nikolic !

14 mai 2016
Matthieu Corradino


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